Navigation – Plan du site

AccueilNuméros41LectureDehouve, Danièle, La géopolitique...

Lecture

Dehouve, Danièle, La géopolitique des Indiens du Mexique : du local au global

Paris, CNRS-Éditions, 2003, 238 p.
Sabrina Grossi
p. 167-169
Référence(s) :
Dehouve, Danièle, La géopolitique des Indiens du Mexique : du local au global. Paris, CNRS-Éditions, 2003, 238 p.

Texte intégral

1Dans cet ouvrage qui donne incontestablement un sens nouveau au mot géopolitique (il ne s’agit pas ici de la discipline universitaire, ni d’une méthode d’enquête, mais des pratiques « géopolitiques » des Indiens de l’État de Guerrero), Danièle Dehouve s’appuie sur les bouleversements produits récemment par la transformation du système politique mexicain pour rejeter une vision romantique et consensuelle, trop souvent répandue, de l’organisation sociale indienne. Elle montre au contraire des communautés indigènes qui entrent en concurrence afin d’aménager l’espace à leur avantage. Cette approche est profondément novatrice : « Alors que la plupart des observateurs assument le point de vue des forces politiques extérieures qui, au niveau national et international, développent des projets dont la réalisation englobe les régions indiennes, ce livre renverse la perspective ; il voudrait expliquer comment les villages indiens ont accueilli les bouleversements politiques nationaux et internationaux, à partir des préoccupations et des conflits qui leur étaient propres » (Prologue, p. 1). Comme cadre d’analyse et comme terrain d’étude, Danièle Dehouve retient une partie du sud Indien du Mexique, en particulier la partie orientale de l’État de Guerrero. Cet espace rural se caractérise par la présence de grandes municipalités et par le fort degré de politisation des habitants. Parmi les différents groupes qui composent le paysage ethnique de la région, l’auteur s’est concentré sur la population tlapanèque, qui rassemble environ 100 000 personnes, distribuées entre trois municipalités : Zapotitlán Tablas, Tlacoapa et Malinaltepec.

2La recherche a été conduite sur une période de plus de trente ans. Cette approche par la longue durée permet de mettre l’accent sur un phénomène contemporain, qui change radicalement la donne politique à l’échelle des États et de la Nation : la « remunicipalisation ».

3Cette notion de « remunicipalisation », qui correspond au processus de création de municipalités nouvelles, permet d’étudier les facteurs susceptibles d’influer sur l’organisation politico-administrative locale. En effet, organisée conformément au principe hiérarchique, dotée de fonctions religieuses et cérémonielles, la municipalité représente le niveau principal de l’administration locale au Mexique : c’est au sein de la municipalité que se déroule une grande partie de la vie politique et de la vie sociale. Or, comme le souligne Danièle Dehouve, les instruments de la concurrence entre municipalités sont très variés : détention d’infrastructures, groupes scolaires, présence d’instituteurs, etc. La célébration de fêtes, la création de groupes de dévotion, de groupes localisés d’intérêts et de coopération, constituent des enjeux importants pour des localités en voie de constitution. Cependant, si les formes et les buts de la rivalité sont dictés par la législation, Danièle Dehouve démontre l’importance du calcul individuel qui sert de base à la dynamique municipale, ce qui favorise le caractère fluctuant des unités administratives.

4La théorie de la communauté indienne est donc ici comprise comme une sous-partie d’une théorie de l’État. Cette perspective permet à l’auteur d’établir une comparaison entre les phénomènes géopolitiques qui affectent tous les niveaux de l’appareil étatique, puisqu’il existe de fait un fort parallélisme entre la prolifération des États au niveau international et la multiplication des municipalités au sein de l’État mexicain. Si la prolifération internationale des États peut s’expliquer par une transformation de leurs fonctions, le processus de « remunicipalisation » peut aussi s’expliquer par la mutation de la forme et des fonctions de la municipalité : autrefois la communauté devait être forte pour protéger le paysan contre ses voisins ; aujourd’hui elle doit être de taille réduite pour recevoir des aides de l’administration fédérale.

5Pour mieux comprendre les phénomènes complexes qui régissent les relations entre les différents niveaux de la vie politique mexicaine, Danièle Dehouve centre son analyse sur la question du contrôle des aides financières, qui représenterait le motif principal des luttes géopolitiques, et serait à l’origine de la multiplication du nombre des municipalités. En effet, au cours des présidences de Carlos Salinas de Gortari et d’Ernesto Zedillo, l’attribution des ressources par Pronasol (Programme national de solidarité nationale) dépendait du nombre de communautés dépendant d’une localité. Les chefs-lieux utilisaient donc tous les moyens possibles pour en faire apparaître le nombre le plus élevé possible.

6La grande nouveauté de ces luttes géopolitiques, c’est qu’elles se réalisent aujourd’hui en participant de manière active à la vie politique de l’État. En effet, le principal canal d’attribution des aides passe par les chefs-lieux. Or, les conseils municipaux sont désormais élus dans un cadre politique plus souple, qui permet aux partis d’opposition de s’exprimer clairement contre le parti au pouvoir. De cette combinaison entre le multipartisme et les flux financiers est née un nouveau jeu de concurrence entre localités, qui associe de façon complexe la politique et la géopolitique (les rivalités entre communautés).

7Dans cette optique, la région tlapanèque constitue un modèle particulier, et particulièrement fascinant, de « remunicipalisation », puisque la zone étudiée se caractérise par une lutte ouverte entre des localités dont beaucoup sont d’apparition récente. Ce caractère récent de la « remunicipalisation » au Mexique permet donc à Danièle Dehouve de s’interroger sur les processus politiques liés à l’introduction du multipartisme au Mexique, depuis les années 1980, suite à la création d’un véritable parti d’opposition au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le Parti de la révolution démocratique (PRD). En ce sens, elle nous démontre de manière magistrale comment la réforme politique de l’État suscite, à toutes les échelles de la Nation, une redéfinition des identités territoriales.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Sabrina Grossi, « Dehouve, Danièle, La géopolitique des Indiens du Mexique : du local au global »Cahiers des Amériques latines, 41 | 2002, 167-169.

Référence électronique

Sabrina Grossi, « Dehouve, Danièle, La géopolitique des Indiens du Mexique : du local au global »Cahiers des Amériques latines [En ligne], 41 | 2002, mis en ligne le 08 août 2017, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/cal/7110 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cal.7110

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search